Dans les manchettes | Espace | Stéphanie Lincourt et Harvey Sands | Marier l’entrepreneuriat social et la promotion immobilière socialement responsable
Par : Stéphanie Lincourt,CPA, CA, première directrice, Audit, Richter
Éditeur : Harvey Sands, CPA, CA, consultant, Richter
L’entrepreneuriat social est souvent considéré comme un engagement sans but lucratif. Pourtant, les entrepreneurs montréalais s’intéressent de plus en plus aux projets d’affaires et de développement immobilier lucratifs qui tiennent compte de l’environnement et de la communauté. Ces entrepreneurs élargissent leurs activités philanthropiques au moyen de cette nouvelle forme d’investissement qui place les bénéfices socioéconomiques et culturels au cœur d’un placement immobilier.
Les incidences sociales et environnementales positives peuvent être intégrées aux entreprises immobilières et entraîner des bénéfices importants pour la collectivité. En effet, le parc immobilier d’une ville constitue sa présence physique et représente ses valeurs ainsi que sa culture. La présence de promoteurs qui maintiennent le cap sur le développement durable tout au long de la conception, de la construction et de l’exploitation de ses immeubles est cruciale afin de favoriser et de soutenir le développement socioéconomique de la collectivité, de la population, des futurs entrepreneurs et d’offrir des incitatifs à ces groupes.
Le Salon 1861, inauguré récemment, illustre de quelle manière les projets immobiliers peuvent être t viables financièrement tout en ayant une forte incidence sociale sur la collectivité. Le Salon 1861 est un projet de remise en valeur et de repositionnement de l’église historique Saint-Joseph située au centre-ville. Ce projet est mené par un groupe de promoteurs privés qui ont su combiner vision, sens aigu des affaires, engagement social marqué et responsabilité dans le cadre de l’acquisition et de la remise en valeur de cet immeuble historique unique, qui risquait d’être démoli et de finir en banal projet de développement de copropriétés. Ce scénario se serait soldé par la perte d’un bien public, qui sert maintenant de catalyseur pour le changement socioéconomique local.
Grâce à ce projet de remise en valeur, l’Église Saint-Joseph a été transformée en un laboratoire vivant commercialement viable destiné à la recherche institutionnelle dans le domaine de la mise en place de pratiques de construction écologiques et durables, d’incubateurs d’entreprises et d’installations d’aide au développement. Sa mission consiste à fournir un espace collectif où les universités, les entrepreneurs sociaux, les citoyens, les organismes sans but lucratif ainsi que les sociétés fermées peuvent se rencontrer et travailler côte à côte. Le large éventail de parties prenantes impliquées permet un échange unique d’idées et de ressources entre les collectivités, les entreprises et les institutions. De plus, ce type de projet de mise en valeur et de repositionnement d’un immeuble peut offrir de nouvelles installations à la collectivité, telles que des jardins urbains, des espaces verts améliorés, un espace événementiel ouvert à la fois aux entreprises et aux résidents du quartier ainsi que des installations d’aide au développement.
Dans la présente étude de cas, nous étudierons les facteurs de la réussite du Salon 1861, notamment l’engagement actif de la collectivité, le financement non traditionnel, les techniques de construction respectueuses de l’environnement, l’élimination du cloisonnement entre les parties prenantes et l’incidence sociale sur la collectivité.
Mobiliser la collectivité
Les nouveaux projets immobiliers ou la remise en valeur d’immeubles existants dérangent souvent la collectivité. Les citoyens de quartier expriment alors leurs désaccords ou leurs préoccupations à plusieurs paliers de gouvernement, tout au long des processus d’autorisation et de changement de zonage. L’opposition des citoyens retarde souvent la réalisation de projets commerciaux importants et dignes d’intérêt pendant des mois, voire des années.
Dans le cadre d’investissements ayant une incidence sociale, il faut amener r les opposants collectifs et individuels à un projet à collaborer au projet. Une collaboration sincère avec la collectivité locale est indispensable pour surmonter la méfiance et l’incompréhension de la vision, de la mission et des exigences d’investissement du promoteur. Les préoccupations de la collectivité doivent être prises en considération et respectées, particulièrement lorsque l’immeuble qui doit être remis en valeur est une pierre angulaire du tissu social de la collectivité. Lorsqu’un projet touche un immeuble intergénérationnel au centre de la collectivité, cela soulève souvent la méfiance et le scepticisme, qu’il faut convertir en appui et en optimisme.
Les promoteurs du Salon 1861 ont perçu ce défi et l’ont pleinement relevé. Le projet comprenait un réseau impressionnant et complexe d’intérêts qui devaient être respectés et considérés afin d’obtenir l’appui local pour ce projet immobilier unique de repositionnement et de changement de vocation. En tenant de nombreuses consultations publiques, les promoteurs ont été en mesure d’obtenir la collaboration des toutes les parties.
Financer un projet immobilier à incidence sociale
Auparavant, le financement d’un projet immobilier à vocation sociale de façon traditionnelle représentait un défi. Les dons et les subventions rendaient le projet viable, et le financement conventionnel suivait. Les banques traditionnelles ne disposaient pas de chiffres comparatifs afin de corroborer le loyer prévu pour un immeuble aussi atypique. Aujourd’hui, les banques traditionnelles sont plus réceptives et ont une plus grande tolérance au risque, mais elles ne sont pas prêtes à compromettre le rendement sur le capital investi.
La viabilité commerciale et le rendement économique des projets immobiliers socialement responsables peuvent être atteints de nombreuses façons. Par exemple, incorporer une composante commerciale, telle un espace de travail partagé de même qu’un centre de conférences ou d’événements, peut fournir des sources de revenus variées et des occasions d’affaires pour les propriétaires et les locataires. Les installations de restauration et les centres d’événements peuvent être loués de façon conventionnelle. Il est ainsi possible de dégager des revenus de location de base aux fins de financement immobilier et de rendement.
Les promoteurs peuvent aussi se tourner vers des commanditaires pour les aider à financer les phases de développement et d’exploitation du projet. Dans le cadre du Salon 1861, les commandites ont été obtenues d’entreprises locales de technologie et de cabinets professionnels. Ces commanditaires cherchent à appuyer la prochaine grande idée ou le prochain client novateur qui pourrait émerger de ce carrefour d’entrepreneuriat qu’est le Salon 1861. De plus, les commanditaires peuvent offrir des ateliers et des services-conseils réguliers à leurs colocataires entrepreneurs. Ces commandites financières et fonctionnelles sont versées dans le cadre de modalités d’entente limitées dans le temps. Par conséquent, il est possible, au moment du renouvellement, de réajuster les revenus et de s’adapter aux besoins et aux services courants de l’immeuble et de ces locataires.
Les municipalités souhaitent également promouvoir et commanditer les projets immobiliers de remise en valeur, car ceux-ci stimulent l’économie locale. Dans le cas du Salon 1861, les autorités locales étaient d’autant plus disposées à appuyer le projet puisqu’il visait à encourager les entreprises à vocation sociale, bénéfiques à la fois pour la collectivité et le développement économique de la ville.
Une vision et une compréhension adéquates des enjeux d’un projet commercial peuvent assurer sa viabilité. Le plan d’affaires adéquat du Salon 1861, son modèle financier viable et la participation des commanditaires ont permis un meilleur soutien et une plus grande collaboration. Le projet a également suscité beaucoup d’intérêt dans les médias, ce qui a assurément contribué à son succès.
Utiliser des techniques de construction respectueuses de l’environnement
Les propriétés patrimoniales sont souvent abandonnées et en mauvais état à la suite de difficultés économiques et d’un manque de ressources financières, et ce, sans égard à leurs composantes architecturales originales et au prestige qui caractérisent leur construction. Cela a certes été le cas de l’Église Saint-Joseph, et pourtant l’immeuble était grandement apprécié par les utilisateurs et la population du quartier.
Un projet de remise en valeur doit respecter l’immeuble d’origine. L’utilisation et le recyclage des matières et des éléments architecturaux existants sont partie intégrante d’une remise en valeur socialement responsable. De plus, de telles méthodes réduisent le gaspillage; il ne s’agit pas uniquement de réduire les coûts, mais également de réduire l’empreinte laissée par le projet sur l’environnement.
L’objectif d’exercer des activités commerciales de manière socialement responsable est contagieux. Au Salon 1861, les locataires et les promoteurs recyclent et réutilisent les composantes de l’immeuble d’origine. Le bois, la structure, les finitions architecturales décoratives et les composantes patrimoniales ont été reconvertis et utilisés dans la mise en valeur et l’ameublement. Être socialement responsable signifie également choisir judicieusement les fournisseurs, s’assurer qu’ils partagent nos valeurs et encourager l’économie locale.
Éliminer le cloisonnement
Le concept de base du Salon 1861 est de rassembler les gens et d’éliminer le cloisonnement entre la collectivité et les acteurs économiques. Une fois la construction terminée, l’utilisation de l’immeuble et du terrain a été maximisée par l’intégration d’un espace de travail communautaire et d’un incubateur pour les jeunes entrepreneurs et les projets d’affaires collaboratifs. Des ateliers s’adressant aux petites entreprises en démarrage et aux travailleurs autonomes peuvent également être organisés dans cet espace unique.
Le Salon 1861 montre de quelle manière les projets immobiliers socialement responsables peuvent contribuer à rétablir des liens dans la collectivité, à rassembler les gens aux antécédents divers dans un espace de travail communautaire multifonctionnel et à éliminer le cloisonnement entre les sociétés fermées, les écoles et les universités locales, les entrepreneurs, les citoyens du quartier et les organismes communautaires.
L’élimination du cloisonnement commence par la mixité des locataires. Le fait que des entreprises et des institutions louent des espaces crée toute une gamme de possibilités et favorise la collaboration. Parmi les commanditaires, on retrouve des cabinets d’avocats et des cabinets comptables qui sont résolus à partager leurs connaissances et leur expertise avec les locataires et la collectivité. Les entreprises et les entrepreneurs qui partagent des valeurs communes contribuent à construire des relations solides avec des clients qui ont des objectifs et des valeurs semblables aux leurs.
Un projet immobilier pour la collectivité
Comme projet immobilier durable, le Salon 1861 s’efforce d’avoir des répercussions sociales sur la collectivité. Ces dernières découlent principalement du fait que le Salon 1861 offre un incubateur d’entreprises et un espace de travail communautaire (bureaux, réception, Internet sans fil, services de bibliothèque, salles de réunion et des installations de communication, etc.) sous forme de locaux à louer dans une partie de l’immeuble. Le succès de ce projet est largement attribuable à sa mission principale : louer des espaces de travail tout compris aux entrepreneurs. Cette mission donne au projet sa nature et sa vocation hybrides, un projet immobilier viable sur le plan commercial qui entraîne des effets positifs sur la collectivité locale et à une plus grande échelle.
Le Salon 1861 offre également des espaces dédiés à la collectivité. Une petite bibliothèque pour les enfants du quartier a été aménagée. On prévoit y organiser des activités de lecture à leur intention, ce qui encouragera la lecture chez les enfants moins favorisés. L’aménagement paysager autour de l’immeuble embellira le quartier et, avec un peu de chance, un jardin communautaire pourra y être créé! Tout cela sera rendu possible grâce à des bénévoles qui sont, pour la plupart, des locataires et des commanditaires.
Le Salon 1861 : lieu de convergence de l’incidence sociale et du rendement du capital investi
Le Salon 1861 constitue un exemple concret de la façon dont un projet immobilier peut procurer d’importants avantages sociaux et culturels à une collectivité. Normalement, la collectivité aurait perdu une installation locale et une structure patrimoniale, puis elle aurait vu naître un quelconque projet de remise en valeur commercial ou résidentiel, même si les éléments architecturaux de la structure d’origine avaient été conservés par les promoteurs.
Au lieu de cela, la collectivité locale possède maintenant un nouvel emplacement dynamique qui fournira des services directs aux gens du quartier, en plus d’encourager les entrepreneurs et de permettre la création de nouvelles relations entre eux, avec les autres entreprises, les organismes sans but lucratif et les universités. Le Salon 1861 démontre de façon éloquente que l’immobilier à responsabilité sociale n’est pas uniquement philanthropique, il peut mener à un investissement extrêmement rentable. L’idée d’un triple résultat (gens, planète et profits) est parfaitement alignée avec les rendements obtenus par l’investisseur et n’entre plus en conflit avec ceux-ci.
Cet article a été publié dans Espace Montréal.
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